Bulletin 19 / Automne 2002

Emigration neuchâteloise

par Sarah von Allmen

Un exemple précoce d’émigration de masse est survenu peu après que le roi de Prusse devienne prince de Neuchâtel en 1707. Une grande partie de la Prusse de l’Est et de la Lituanie avait été dévastée par la peste, et Frédéric Ier appela ses nouveaux citoyens à recoloniser le pays laissé inoccupé. Malgré la réticence des autorités locales, approximativement 200 Neuchâtelois partirent en février-mars 1712 pour une région située en ce qui est maintenant la Pologne et le Sud-Ouest de la Lituanie. Pourtant, les conditions qu’ils rencontrèrent sur le trajet étaient si mauvaises que la moitié d’entre eux furent forcés de rebrousser chemin dans un état pitoyable. D’autres atteignirent leur destination, s’installèrent là-bas, et furent rejoints par d’autres familles neuchâteloises pendant les vingt ans qui suivirent. Des descendants de plus de 50 familles du canton vivaient encore dans cette région avant la Seconde Guerre mondiale. Ces familles sont maintenant dispersées un peu partout en Allemagne.

En 1724, la Couronne britannique venait d’acquérir la Caroline du Sud et désirait y encourager la colonisation. Jean Pierre Pury de Neuchâtel, ancien maire de Lignières, officier militaire et homme d’affaires, conclut un accord comme quoi il allait recruter 600 « pauvres protestants suisses » qui seraient transportés au frais de la Couronne contre 24000 acres de terrain pour lui-même. Un grand nombre d’émigrants potentiels se sont rassemblés à Neuchâtel en 1726, mais l’argent pour le transport n’étant pas arrivé, Pury a dû fuir pour éviter leur colère. De ce groupe, 24 hommes, femmes et enfants finalement atteignirent la Caroline du Sud par leurs propres moyens.

Loin d’être découragé, Pury renégocia avec la Couronne en 1730, et l’année suivante voyagea en Caroline du Sud pour choisir un lieu convenable pour une colonie. A Charlestown, il écrivit un pamphlet pour encourager les émigrants suisses, avec une description idéalisée de la région. Ces « propositions » étaient suffisamment alléchantes pour convaincre un premier contingent de 152 Suisses de se déplacer à Charlestown en 1732. 87 de ce groupe (dont plusieurs familles du canton de Neuchâtel) firent serment d’allégeance au Gouverneur de Caroline du Sud, et allèrent sur le site choisi de la « Savannah River », où Purysburg fut fondé. D’autres pionniers rejoignirent la colonie lors des années suivantes, mais elle ne prit jamais vraiment racines, dû en partie pour le choix de sa situation adaptée premièrement à la défense militaire de la Caroline. La localité était marécageuse et sujette à la malaria, mal placée pour la navigation commerciale, et il y avait discorde sur l’allocation des terrains. Graduellement, les colons partir pour trouver des sites plus hospitaliers et Purysburg fut lentement abandonnée. Aujourd’hui, rien ne subsiste de cette communauté pionnière, mais la flamme du souvenir est maintenue par la Purysburg Préservation Society, un groupe de généalogistes et d’historiens amateurs(1).

La Révolution française trouva un écho favorable dans le haut du canton de Neuchâtel, et cette vague grandissante de républicanisme commença à inquiéter le gouvernement. Les échauffourées entre les diverses factions empirèrent. Le gouvernement neuchâtelois se prépara alors à envoyer des troupes pour maîtriser la révolte car, selon la rumeur, les républicains étaient sur le point d’appeler les Français à la rescousse. En fait, les troupes n’ont jamais été envoyées, les groupes de l’opposition n’ayant ni la taille ni la structure nécessaires à faire face à cette menace. Le calme revint dans le canton, mais 300 familles du Locle et de La Chaux-de-Fonds – représentant plus de 20% de la population du Locle – quitta le canton pour la France en juin 1793, émigrant principalement à Besançon. Cet exil auto-imposé a également peut-être été en partie influencé par des facteurs économiques, Besançon étant un centre important de l’horlogerie. Mais cet acte envoyait clairement le message qu’une grande partie de la population ouvrière était profondément en porte-à-faux avec le gouvernement cantonal royaliste.

En 1839, Charles Joseph La Trobe a été nommé superintendant de Port Phillip District (aujourd’hui l’Etat de Victoria) en Australie. Sa femme, Sophie de Montmollin, provenait d’une famille de la haute société neuchâteloise, et cette nouvelle causa donc un grand intérêt dans le canton. Quelques vignerons neuchâtelois s’embarquèrent alors à destination de ce pays au bout du monde, pour planter des vignobles dans la région de Geelong, et leur succès convainquit d’autres de les rejoindre. Cette industrie naissante connut un grand succès jusqu’à ce que la première infestation de phylloxéra (maladie de la vigne) détruise tout en 1877. Une deuxième colonie vigneronne fut fondée à Lillydale par trois des neveux de Mme La Trobe, Adolphe de Meuron et les frères Guillaume et Samuel de Pury, ainsi que quelques amis. Ce groupe encouragea également des vignerons et des agriculteurs suisses à venir les rejoindre, avec tellement de succès qu’un quartier de la ville de Lilydale fut surnommée « Little Neuchâtel »(2).

Pendant les récessions économiques du 19e siècle, des habitants du canton participèrent à l’exode vers l’étranger. Cependant, Neuchâtel avait une économie basée à la fois sur l’agriculture et les petites industries (horlogerie, indiennage, dentellerie etc) et, par conséquent, ses citoyens ont été moins touchés par la crise et moins tentés par l’émigration que leurs concitoyens des cantons essentiellement ruraux(3)

Notes

(1) Voir f Jean-Jacques de Pury, «A la recherche de Purisburg», dans Caisse de famille Pury, Chronique, Numéro spécial pour le 6e centenaire 1370-1970, 1970; Augustre Châtelain, «Purrysburg», dans Musée neuchâtelois, 1920; Jean Courvoisier, « Sur une lettre venue de Purrysbourg (1745) », dans Musée neuchâtelois, 1973.

(2) Voir Jacqueline et Pierre-Arnold Borel, Les Montmollin, livre de raison et chronique de famille, 1986, et Des vignerons neuchâtelois partent planter la vigne en Australie, 2000; Olivier Rychner, Quand Grelong prenait de la bouteille. Vignerons suisses et neuchâtelois dans la colonie de Victoria (Australie), mémoire de licence, 1998, et «Vignerons suisses et neuchâtelois dans la colonie de Victoria (Australie)», dans Revue historique neuchâteloise, 2001; Jacques Petitpierre, «Les deux hymens neuchâteloise du premier gouverneur de l’Etat de Victoria», dans Patrie neuchâteloise, N° 4, 1955.

(3) Voir Gérald Arlettaz, «L’émigration suisse outre-mer de 1815 à 1920», dans Etudes et sources, 1, 1975.